samedi 24 avril 2021

Il était une fois Ramadhan à Tlemcen...


"Les commerçants de Beb Sidi Boumediène, El Mawkaf ou El Medress baissaient les prix des produits alimentaires ou vendaient au prix d'achat, faisaient crédit à leurs clients nécessiteux ou épongeaient carrément leurs dettes à cette occasion. Un élan de solidarité sans pareil. Une véritable communion dans la charité. 
MOIS DE GENEROSITE ET AUMONE 
Le Ramadhan était ponctué par deux «nefqas» (aumône), celle dite nefqat ennass» intervenant le quatorzième jour (moitié) du mois sacré et celle du vingt-septième jour coïncidant avec «leilat el qadr». La première, correspondant à peu près à la fête patronale «waâda», était marquée par des aumônes, les distributions de viande et de semoule aux pauvres. Une «sadaqa» en fait en l'honneur des morts récents de la maison, se traduisant par ailleurs par des visites au cimetière Sidi Senoussi.Sur le plan culinaire (gastronomique), le repas de l' «iftar» était marqué par un menu spécial dit «hlou»( ragoût aux coings, marrons,prunes ou raisins secs). 

La seconde fête était célébrée dans la piété et le recueillement. 
RITUEL DU BKHOUR 
En dehors des aumônes et des sacrifices ordinaires, les tlemceniens faisaient cette nuit-là, brûler dans les maisons des parfums de sept espèces différentes dites les «sbaâbkhour» (les sept parfums), contenus dans de petits cornets de papier, achetés au mawkaf (la place de la Sikak) ou à la rue Khaldoun, chez les apothicaires (herboristes) nommés Nedjar, Baba Ahmed, Dekkak, Sekkat ... C'était la pâture «jawi» donnée aux génies malfaisants les «djennoun», appelés par euphémisme «el moumnine» (les croyants) et «mosslinine» (les musulmans) ou «hadouq eness» (ces gens-là) affamés depuis un mois qu'ils étaient enchaînés par les anges et enfin rendus à la liberté, pour qu'ils ne fassent aucun mal aux gens de la maison. 
LILA EL KADAR 
Les plus superstitieux attendaient candidement que le ciel s'ouvre cette nuit-là, dans l'espoir de «découvrir» leur destin. Les zaouias n'étaient pas en reste. En effet, les Habriya de Sid El Djabbar, El Alaouiya de Hart R'ma (rue des forgerons), derkaouiya (cheikh Ben Yelles) de ArssDidou, Qadiriya de derb Sebbanine, Mamcha de derb Sidi Amrane, faisaient «salle» comble, affichant complet cette nuit-là, où on achevait la récitation du Coran, c'est-à-dire «khetm el Qor'ane» du dhor jusqu'au sobh, soit en 24 heures. 

Cette fête «nefqat sebaâ waouchrine» était, par ailleurs, propice à la circoncision des enfants. Destination : salon de coiffure de Charif, le fameux barbier de la rue de Mascara (El Qissariya) en face de derb Messoufa.
FETE ET HIDJAMA 
L'acte chirurgical de notre «hadjam» (scarificateur) s'accompagnait invariablement du rituel (simulâcre) de l' «oiseau» fictif : «hawa zawech !» désignait-il d'un geste théâtral un point au plafond. Un dérivatif ou plutôt une diversion toujours efficace puisque la circoncision s'opérait comme par enchantement, en un clin d'œil. A cette occasion, la fête se faisait parfois en musique. Le soir ou le lendemain, les femmes amies de la maison venaient à leur tour voir le nouveau circoncis «el mtahar» et chacune lui remettait quelques pièces de monnaie destinées à la mère ; on entendait de la musique, on dansait ou l'on regardait danser et la fête se terminait par des you-you stridents et des vœux genre «o'qba larassiya» (meilleurs vœux pour ses «futures» noces). 
SEANCE HENNE 
La traditionnelle séance de henné faisait partie des préparatifs de la cérémonie : les pieds de l'enfant étaient badigeonnés de «henna» et la paume des mains «frappée» du «douro» symbolique contre le «mauvais œil». 
PREMIER RAMADAN ET RITUEL 
Le premier jeûne d'un enfant donnait lieu à un cérémonial particulier, notamment pour la fille qui arborait à cette occasion une chedda, sans oublier le porte-monnaie ;sa maman lui faisait une tournée à pied chez la famille qui la gratifiait de sous, avant de passer chez Abdelkrim Zmirli à Blass el Khadem ou Omar Adem à derb Lihoud pour une photo souvenir...Par ailleurs, quand un enfant voulait faire carême, on le ménageait en lui «cousant»(khaytou) une matinée avec une autre pour obtenir une journée de jeûne. Une initiation pédagogique subtile à ce rite sacré. A propos de religion, les petits tolbas de l'école coranique du quartier étaient honorés à la faveur de la khatma du Coran ; flanqués de leur pittoresque tablette, ils sillonnaient les venelles de la vieille médina en quête de récompense... 
GATEAUX DE L'AID 
La dernière semaine du Ramadhan était consacrée, tradition oblige, à la préparation des gâteaux. On s'entraidait entre voisines ou entre parentes. Chacune mettait la main à la pâte, c'est le cas de le dire. C'était le crédo de la twiza. 
MAQROUT ET GRIWECH 
Les «qobbas» se transformaient pour la circonstance en fournil. L'odeur de cuisson des «maqrout, griwech et samsa» s'exhalaient des maisons, envahissant les derbs, embaumant les moindres recoins du quartier. 
QAAK DE TLEMCEN 
Quant aux «qa'âk» et «ghroubiya», ils étaient portés sur des plateaux empruntés au «ferrane» du coin (ou sur des planchettes) au four banal du quartier dont le préposé prélevait tacitement à la fin de chaque cuisson une quote-part pour vraisemblablement apprécier le goût des gâteaux et, par ricochet, le savoir-faire de chaque famille. N'oublions pas que le «terrah»(fournier) était l'alter ego de la «tayaba» (préposée au bain maure) en matière de recommandations matrimoniales. Le parfum des gâteaux et les effluves de la cuisson rivalisaient avec l'odeur alléchante de la chorba. La meïda( table basse) commençait alors à montrer des signes de «carence», se dégarnissant de jour en jour, perdant son «lustre» initial des trois premières semaines. En bon astre, respectueux de l'alternance «calendaire», le Ramadhan s'apprête alors à plier bagage pour céder augustement la place à son pendant festif: l'Aïd Sghir..."

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