dimanche 21 avril 2019

Le matrag désigne un art martial algérien appelé aussi « canne algérienne »

Résultat de recherche d'images pour "Le matrag"Le mot « matrag » est un terme du dialecte algérien venant de l’arabe classique « mitraqa » qui a le sens de « marteau » et qui a donné le mot « matraque » en français. Le matrag désigne à la fois un art martial algérien et l’arme employée pour pratiquer celui-ci, lequel art est aussi souvent appelé « canne algérienne », car en effet l’arme en question est une sorte de canne droite en bois d’olivier sauvage ou oléastre qu’on appelle en Algérie « zeboudj ». Il s’agit d’un arbre originaire d’Afrique du Nord où il pousse spontanément à l'état naturel, mais on en trouve aussi dans d’autres pays du pourtour méditerranéen. La qualité de ce bois est exceptionnelle, celui-ci combine deux qualités essentielles pour une arme : souplesse et solidité. Ceux qui pratiquent cet art savent combien il est difficile de briser un bâton fait de cette essence. En outre, une canne de zeboudj est relativement lourde et dense du fait probablement d’une grande concentration de sève. Notons à ce propos que les préparateurs de cannes de combat coupent ces dernières à une période spécifique de l’année, à un moment où justement leur concentration en sève est optimale. La taille réglementaire du matrag est d’environ de deux coudées et d’un empan, soit à peu près 1m15 ; quant à son épaisseur, elle est variable, une canne fine permet un maniement plus rapide, alors qu’une canne plus épaisse est certes plus lourde mais elle est d’autant plus redoutable, disons que le diamètre moyen d’une canne varie entre 1 et 2 cm. Ainsi, souplesse, densité et solidité font du matrag une arme très efficace.

Image associéeS’il est difficile de retracer précisément l’historique de cette pratique, il est certain qu’elle a pour berceau la région de l’Oranie, c’est-à-dire le nord-ouest de l’Algérie, et qu’elle est apparue il y a plus de deux siècles. Selon certains elle viendrait de la volonté des bergers de cette région de se défendre contre les voleurs de troupeaux et autres maraudeurs, mais il semble quand même qu’elle ait des origines guerrières puisqu’on retrouve des codes et techniques très proches de la pratique du sabre. Même si nous ne pouvons que spéculer, eu égard au manque de sources tangibles sur ce sujet, on peut imaginer que les arabo-berbères ont pratiqué le combat de bâton depuis des temps reculés, et ce, pour plusieurs raisons évidentes, l’histoire de ces peuples, comme d’ailleurs celle de la plupart des autres peuples, n’est qu’une longue succession de conflits incessants à plus ou moins haute intensité, et que par conséquent les valeurs et traditions guerrières étaient cardinales et au centre de la vie des hommes, ce qui se traduisait logiquement par des entraînements et jeux guerriers permanents  en outre il semblait plus logique d’employer pour s’entraîner au sabre des bâtons en bois d’olivier, lesquels étaient disponibles à profusion, contrairement aux sabres qu’il fallait préserver ; de surcroit leur longueur et poids étaient proches de ceux des sabres, on sait par exemple que les guerriers berbères de Kabylie utilisaient au moins depuis le XVIIIe siècle la flissa qui est une épée droite pouvant mesurer jusqu’à un mètre, des études parlent mêmes de « grands sabres droits » berbères atteignant 1m15, soit la taille d’un matrag ; par ailleurs, les arabo-berbères de l’époque de l’Emir Abdelkader se servaient au combat d’un sabre long légèrement courbé d’origine turque faisant un peu moins d’un mètre appelé « yatagan ».

Quoi qu’il en soit, le peu d’informations disponibles et fiables sur les origines du matrag font remonter la genèse de sa pratique,  à l’époque de l’Emir Abdelkader, c’est-à-dire à un moment où les Algériens entrent en résistance armée contre l’invasion française . Il semble évident que cet état de guerre intense et quasi-permanent, qui dura plus de quinze ans (de 1830 à 1847), favorisa et développa encore un peu plus les pratiques guerrières au sein des tribus arabo-berbères de l’ouest algérien qui était, il faut le rappeler, le théâtre principal de la lutte musulmane contre l’occupant français. Ce n’est sans doute donc pas un hasard si l’art du matrag s’est particulièrement développé dans cette région .

Et puisqu’on évoque l’esprit et la symbolique, il n’est pas inutile de rappeler que les grands maîtres ("cheikhs") du matrag rappellent souvent un verset du Coran auquel il rattache leur pratique, ce qui ajoute encore à l’identité arabo-musulmane profonde de cet art martial : « Il (Moïse) dit « C’est mon bâton sur lequel je m’appuie, qui me sert à effeuiller (les arbres) pour mes moutons et j’en fais d’autres usages » (Coran 20/18). Il s’agit du passage coranique dans lequel Moïse se trouve dans la vallée sacrée Tuwâ où Allah, exalté soit-Il, s’adressa directement à lui en lui disant : « Et qu’est-ce qu’il y a dans ta main droite, ô Moïse ? ». Il dit : « C’est mon bâton sur lequel je m’appuie, qui me sert à effeuiller (les arbres) pour mes moutons et j’en fais d’autres usages ». [Allah lui] dit : « Jette-le, Ô Moïse». Il le jeta : et le voici un serpent qui rampait. [Allah] dit : « Saisis-le et ne crains rien : Nous le ramènerons à son premier état » (Coran 20/17-21). Ainsi, les maîtres du matrag voient dans la phrase « […] et j’en fais d’autres usages » la possibilité que soit sous-entendu le combat au bâton, mais Allah, exalté soit-Il, sait mieux.

Image associée Il faut savoir que cette pratique a été transmise et pratiquée en toute discrétion pendant la période coloniale.  Il semblerait que le matrag ne fut pas tellement bien vu non plus sous l’ère des premiers dirigeants de l’Algérie indépendante, et ce n’est donc qu’à partir du début des années 80 que cet art sortit d’une forme de clandestinité, car en effet il était jusqu’alors pratiqué loin des regards. Il faut noter qu’on retrouve malgré tout encore aujourd’hui chez certains vieux maîtres de matrag le souci de transmettre leur savoir de manière discrète à leur « guendouz » (disciple choisi pour recevoir tout le savoir du maître). Néanmoins, il existe aujourd’hui en Algérie de nombreux clubs de matrag ayant pignon sur rue, de même qu’on en trouve quelques-uns dans d’autres pays (en France notamment).

En outre, le matrag est pratiqué publiquement lors des wa’das qui sont de grandes réunions festives en plein air à mi-chemin entre la fête agricole et la kermesse durant lesquelles on assiste à une véritable vivification de la culture algérienne profonde. C’est ainsi qu’on y entend des bardes déclamant d’antiques poésies bédouines, qu’on y mange du couscous assis en tailleur sous des tentes mais surtout qu’on y perpétue la vielle tradition de la fantasia, ou la’b al-bârûd en arabe (le jeu de la poudre), qui a au moins deux siècles d’existence.
Pour ce qui concerne la pratique en tant que telle, on peut dire que le matrag oppose deux adversaires armés d’une canne, parfois de deux. Il s’agit donc d’une forme de duel qui n’est pas sans rappeler le birâz qui était pratiqué traditionnellement par les chefs de clans algériens afin de mettre un terme, par un duel justement, à un conflit intertribal en évitant ainsi que se multiplie sans fin le nombre des victimes collatérales.
Les coups sont codifiés de manière stricte – on ne frappe pas anarchiquement – et ils sont au nombre de quatorze, tous portés de taille, c’est-à-dire du « tranchant » de la canne, les coups d’estoc (avec la pointe), beaucoup plus dangereux, sont formellement prohibés, sauf dans une situation de légitime défense, face par exemple à un individu armé d’un couteau. Ainsi, on a deux coups (intérieur/extérieur) aux oreilles (tarcha, littéralement « assourdissement »), deux aux mentons (lihya, « barbe » en arabe), deux au front (ra`s), deux dans les cotes (janb), deux dans le bas des jambes (rijl), deux dans les épaules (katf) et deux dans les coudes (mirfaq). Et à partir de ces quatorze coups ont été élaborées au fil du temps des combinaisons, ou hisâbs (comptes, calculs), composées de plusieurs coups donnés dans un ordre bien défini, lesquelles combinaisons sont connues et pratiquées par tous.
Le déroulement d’un échange est donc assez simple, l’attaquant donne une série de coups, le défenseur les pare selon des techniques bien établies puis à son tour porte la même série à son adversaire. Le but, afin de progresser, est de combiner les hisâbs courts, ce qui peut amener certains à produire sans interruption des séries d’une quinzaine ou d’une vingtaine de coups. Ce travail nécessite un gros travail de mémorisation pour celui qui se doit de répéter ce type de séries. L’objectif, après s’être familiarisé aux gestes, combinaisons et enchaînements des coups, est d’habituer l’œil aux coups imprévisibles ; c’est ainsi qu’à un niveau supérieur les pratiquants font des feintes, des variantes ou introduisent des coups non prévus dans leurs hisâbs .

Résultat de recherche d'images pour "Le matrag "Les duels de canne opposant des maîtres ou des pratiquants aguerris font naturellement penser à des combats de styles asiatiques comme l’arnis (Philippines), le kung-fu (Chine) ou encore l’aïkijo qui est un art martial japonais dont l’arme (un bâton d’1m20) et les techniques sont très proches de celles du matrag. Il est d’ailleurs à noter que les grands maîtres actuels du matrag sont souvent des experts dans des arts martiaux asiatiques (judo, aïkido, karaté shotokan, etc.), cela s’explique par le fait que les techniques traditionnelles de la canne s’accordent parfaitement avec celles de ces arts et on peut même dire que l’influence de ceux-ci permet de faire progresser considérablement le niveau de pratique du matrag.
Les hautes valeurs et vertus émanant de l’Islam président à la pratique de cet art ; ainsi, même si les combats peuvent être spectaculaires, voire donner une impression d’une grande violence, les pratiquants du matrag sont le plus souvent, lors des duels et en dehors, des gens respectueux, humbles, honnêtes et considérant la fraternité et l’honneur comme des valeurs cardinales, aussi il est extrêmement rare que des combats de canne dégénèrent.
En conclusion, il nous semble que les Algériens en particulier et les musulmans en général devraient prendre conscience que le matrag est un véritable trésor vivant qui mérite d’être développé et diffusé. En ces temps difficiles où l’image de l’Islam est dénaturée et salie à la fois par des violences ignobles perpétrées en son nom par une minorité d’ignares manipulés et par la propagande malveillante d’une partie des médias, il serait bon que les musulmans redécouvrent des éléments de leur culture et de leur histoire dont ils peuvent être fiers, et la pratique du matrag en fait partie.

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